Thème de recherche
DES MÉCANISMES MOLÉCULAIRES À LA PATHOGÉNÈSE DES INFECTIONS VIRALES
Pour étudier et combattre les infections virales, notre équipe utilise à la fois des approches de recherche fondamentale avec le décryptage des mécanismes moléculaires mis en jeu lors de l’infection, et de recherche appliquée pour développer de nouveaux traitements prophylactiques et thérapeutiques. Nos projets de recherche peuvent être classés en deux axes principaux.
1. AXE MONONEGAVIRUS
De nombreux pathogènes humains, tels que le virus de la rougeole, le virus des oreillons, le virus de la rage, ou encore les virus émergents Ebola et Nipah, sont des virus enveloppés possédant un génome composé d’un ARN simple brin, non-segmenté, et de polarité négative (ordre des Mononegavirales). Nous ne disposons pas de traitements prophylactiques et/ou thérapeutiques pour nombre de ces pathogènes, d’où l’importance de comprendre comment ces virus se répliquent pour développer de nouvelles approches antivirales.
Les chauve-souris frugivores du genre Pteropus, dont le rayon d’action s’étend à certains territoires français d’outre-mer sont les réservoirs de plusieurs henipavirus, dont le virus Nipah (NiV) qui peut être transmis aux humains et engendre régulièrement des épidémies mortelles en Asie du Sud-Est et Asie du Sud. Pour ces raisons, ce virus pose un risque pandémique et fait partie de la liste des pathogènes prioritaires de l’OMS.
Nous étudions le virus Nipah au laboratoire P4 Jean Mérieux en condition infectieuse avec des expériences in cellula et in vivo.
Principaux projets
A. Structure et fonction de la machinerie de synthèse des ARN viraux.
Les mononegavirus possèdent des mécanismes moléculaires originaux et sophistiqués pour transcrire et répliquer leur génome. La machinerie de synthèse des ARN viraux se compose d’un ARN matriciel entièrement enchâssé dans un homopolymère non-covalent de nucléoprotéines (N), appelé nucléocapside, et d’un complexe polymérase constitué des deux protéines virales L et P. La protéine L possède toutes les activités catalytiques nécessaires à la synthèse d’ARNm matures et à la réplication du génome. Son cofacteur, la protéine P permet le recrutement du complexe sur la nucléocapside et l’ajout de nouvelles nucléoprotéines lors de la réplication du génome.
Bien que nous disposions d'informations structurales et fonctionnelles, de nombreuses questions subsistent. Comment ces composants s'assemblent-ils pour former la machinerie de synthèse des ARN ? Comment le génome viral accède-t-il au site catalytique de la polymérase ? Comment la coiffe et la queue de poly(A) sont-elles ajoutées aux ARNm ?...
Afin d’obtenir une vision globale des mécanismes moléculaires en jeu, nous étudions cette machinerie moléculaire par des approches structurales (cryo-microscopie électronique) et fonctionnelles (reconstitutions de la machinerie de synthèse d’ARN viraux in vitro et in cellula (dit tests minigénome), virus recombinants…). Nos deux principaux sujets d’étude sont le virus Nipah et le virus de la stomatite vésiculaire (VSV), un prototype idéal pour étudier ces mécanismes.
Figure 1. Structure des composants de la machinerie de synthèse des ARN des paramyxovirus.
B. Interactions hôte-pathogène
Au cours de l’évolution, la « course à l’armement » entre les cellules hôtes et leurs pathogènes a conduit à la mise en place de mécanismes antiviraux cellulaires et de contremesures virales. Ces interactions diversifiées et complexes sont déterminantes à la fois pour la réplication et la dissémination du virus mais aussi pour son contrôle et son élimination par l’hôte.
Nous décryptons ces mécanismes moléculaires par des approches de biologie moléculaire et cellulaire (co-immunoprécipitation, test d’activation avec gène rapporteur, RT-qPCR, cytométrie en flux…). Notre équipe a notamment décrypté comment la protéine non-structurale W de NiV inhibe la voie de signalisation NF-kB (Enchery et al., 2021). En parallèle, nous avons décrits les protéines cellulaires sentinelles du système immunitaire innée responsables de la détection des acides ribonucléiques (ARN) de NiV (Iampietro et al., 2020). Notre groupe a également démontré que la voie de signalisation STING, spécialisée dans la détection des ADN pathogènes ou dégradés, est activée lors des infections par NiV et le virus de la rougeole (Iampietro et al., 2021) et décrit le mécanisme associé (Amurri et al. 2024). L’étude fondamentale de l’impact de l’axe STING au cours des infections par NiV permettrait d’établir de potentielles stratégies thérapeutiques ciblées.
Bien qu’asymptomatique chez son hôte naturel (chauve-souris du genre Pteropus), l’infection par NiV est très pathogène chez ses hôtes accidentels tels que les primates. Afin de comprendre cette différence de sévérité, nous menons également des études comparatives des interactions hôte-pathogène et des réponses cellulaires à l’infection de cellules provenant d’hôtes naturels ou accidentels.
Figure 2. Mécanismes responsables de de l’activation de STING suite à l’infection par le virus de la rougeole et le virus Nipah.
C. Pathogénèse comparée chez l’hôte naturel et accidentel
Les différentes souches de virus Nipah n’induisent pas de symptôme lorsqu’elles sont hébergées chez la chauves-souris alors qu’elles sont hautement pathogènes lorsqu’elles rencontrent un hôte accidentel. L’infection des primates par la souche bangladaise de NiV provoque une forte réaction inflammatoire pulmonaire engendrant une détresse respiratoire aigüe alors que la souche malaysienne conduit au développement d’une infection cérébrale tout aussi létale. Nous étudions les caractéristiques de cette hyper inflammation ainsi que la dissémination du virus dans l’organisme afin de comprendre les mécanismes mis en jeu et responsables de la très grande pathogénicité. Nous nous attachons à les comparer aux mécanismes de défense efficaces que mettent en place les chauves-souris. Mieux comprendre ces mécanismes pourra notamment nous aider à développer des thérapies ciblées chez l’Homme.
Pour ce faire, en collaboration avec VetAgro Sup, nous mettons en place une volière de Pteropus afin d’étudier leurs mécanismes de défense immunitaires. Cet outil unique au monde nous permettra d’évaluer en temps réel la réponse des animaux et de développer des solutions de contrôle de la prévalence virale dans les populations sauvages.
Figure 3. Étude des interactions entre les henipavirus et leurs hôtes naturels et accidentels.
D. Développement d’approches antivirales
Nous menons des études précliniques pour tester l’efficacité de peptides bloquant l’entrée virale (par fusion des membres virale et cellulaire) lors d’infection respiratoires par le virus de la rougeole (MeV), le virus Nipah (NiV), ou encore le virus SARS-CoV-2. Ces études sont basées sur des résultats très encourageants obtenus sur des modèles rongeurs (modèle hamster pour NiV et souris transgénique pour MeV) (Sellin et al., 2006; Mathieu et al., 2018). Dans ce projet, nous utilisons une approche d’aérosolisation des peptides, ce qui représente une nouvelle stratégie d’administration de peptides inhibiteurs de fusion pour protéger des populations à risque face à des infections à virus respiratoires. Ce projet est mené en collaboration étroite avec les groupes d’Anne Moscona et de Matteo Porotto de l’Université Columbia à New-York, et a déjà fournis des résultats très encourageants pour un traitement prophylactique contre la rougeole (Reynard et al., 2022). La confirmation de l’efficacité de cette stratégie en modèle primates non-humains fournira les preuves de concepts nécessaires à l’initiation d’études cliniques. Le développement de ces traitements à base de peptides inhibiteurs de fusion chez l’Homme, ouvrira la voie à la mise en place d’une plateforme technologique pour combattre les infections par MeV et NiV mais aussi d’autres virus utilisant des mécanismes d’entrée similaires. Cette technologie offrira alors une approche prophylactique complémentaire à la vaccination.
En collaboration avec le laboratoire d’Yves Lévy et Sylvain Cardinaud du Vaccine Research Institute, nous avons également testé des candidats vaccins contre NiV ciblant les cellules présentatrices d’antigènes (Pastor et al., 2024).
Figure 4. Aérosolisation de peptides inhibiteurs de fusion : nouvelle stratégie antivirale contre les virus respiratoires.
2. AXE SARS-COV-2 ET RETROVIRUS ENDOGÈNES
La COVID-19 et la fréquence élevée de ses complications à long terme (COVID long) constituent toujours un problème de santé majeur, avec au moins 65 millions de patients souffrants de COVID long actuellement à travers le monde. En raison de l'hétérogénéité significative du profil des patients, rares sont les biomarqueurs permettant d'identifier les patients à haut risque de développer des formes sévères de COVID-19 et ses complications à long terme, ou de guider des options de traitement personnalisées. Notre projet vise à analyser le rôle des rétrovirus endogènes humains (HERV), connus pour leur fort potentiel pro-inflammatoire, dans l'immunopathogénèse de la COVID-19 et du COVID long, et à identifier et évaluer un ensemble de biomarqueurs importants pour le diagnostic, le pronostic et le suivi des patients. Des données récentes du consortium ont démontré que la protéine d'enveloppe HERV-W est fortement exprimée dans les lymphocytes des patients atteints de la COVID-19 et qu'elle est en corrélation avec les marqueurs inflammatoires et l'issue respiratoire de la maladie (Charvet et al, 2023). Ces résultats suggèrent que les HERV jouent un rôle dans la pathogenèse de la COVID-19. Nous évaluons les voies et fonctions biologiques qui sous-tendent l'association de l'expression des HERV avec les formes graves de la COVID-19 et les complications associées. Des paramètres seront déterminés pour prédire l'évolution clinique de la maladie et l'aggravation des symptômes induits par le SARS-CoV-2, et pour permettre un regroupement potentiel des différents profils bio-cliniques des patients. Le(s) panel(s) diagnostique(s) et pronostique(s) "traduit(s)" à partir de notre recherche fondamentale et des évaluations ultérieures des biomarqueurs associés aux HERV sera(ont) évalué(s) pour définir de nouveaux indicateurs dans les stratégies thérapeutiques basées sur la médecine de précision, conduisant à un traitement médical individualisé pour la COVID-19 et le COVID long.