Présentation de l'équipe
RESUME
Notre domaine de recherche cible la physiopathologie des maladies inflammatoires et allergiques de la peau, en particulier les eczémas (eczéma de contact et eczéma atopique), l’allergie aux médicaments et plus récemment une dermatose neutrophilique, l’hidradénite suppurée également connue sous le nom de maladie Verneuil. Ces pathologies sont la conséquence de la défaillance de la tolérance immunitaire envers les allergènes présents dans notre environnement quotidien.
Les eczémas (eczéma de contact / eczéma atopique) (Figure 1). L’eczéma de contact est induit par des produits chimiques, appelés haptènes, doués de fonctions réactives vis-à-vis des protéines du soi. L’eczéma atopique, plus connue sous le nom de dermatite atopique, est induit par le contact avec des protéines de l’environnement (acariens, farine, pollens, poils de chat…). Ces deux maladies sont des dermatoses inflammatoires très courantes dans les pays industrialisés. Elles se définissent comme des réactions d’hypersensibilité retardée. En effet, alors que la grande majorité des individus ne développe pas d’immunité adaptative et donc pas de lymphocytes T (LT) effecteurs suite aux contacts répétés avec les allergènes (tolérance), ces dermatoses inflammatoires sont induites, chez les patients sensibilisés, par le recrutement et l’activation dans la peau de LT cytotoxiques (CTLs), capables d’induire l’apoptose des kératinocytes présentant l’allergène (caractéristique immunohistologique majeure des eczéma).
L’allergie aux médicaments (Figure 2). Il existe de nombreuses formes d’allergie médicamenteuse. Nous nous intéressons plus particulièrement à des toxidermies connues sous le nom (i) d’exanthème maculo-papuleux (EMP), qui est fréquent mais bénin, ou (ii) de syndrome DRESS (Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms) et (iii) de nécrolyse épidermique toxique (NET), qui sont des pathologies rares et sévères, qui engagent dans 30% des cas le pronostic vital. Les mécanismes physiopathologiques qui conduisent à la survenue de ces pathologies après administration orale ou parentérale de médicaments restent peu connu, notamment en raison de l’absence de modèles expérimentaux appropriés. Le paradigme actuel postule que les symptômes se développeraient selon des mécanismes similaires à ceux décrits dans les eczémas, avec un rôle central joué par les cellules T spécifiques de médicaments dans le développement des lésions cutanées.
L’hidradénite suppurée (Figure 3). L’hidradénite suppurée (HS) est une dermatose chronique invalidante associée au développement de lésions inflammatoires douloureuses et purulentes des plis (aisselles, plis inguinaux, sous-mammaires). Les lésions d’HS se caractérisent par une inflammation de l’appareil pilo-sébacé de sévérité variable avec développement progressif de folliculites, nodules, abcès et fistules dans les stades les plus tardifs. Avec une altération profonde de la qualité de vie et une prévalence d’environ 1%, l’HS est un véritable problème de santé publique, avec peu d’options thérapeutiques disponibles. La pathogénie de l’HS est à ce jour encore mal comprise : le tropisme pilo-sébacé et le fait que les patients répondent à des combinaisons d’antibiotiques et/ou à des traitements immunosuppresseurs suggèrent l’implication de 3 facteurs qui seraient intimement liés : la présence (i) d’une dysbiose microbienne, (ii) d’un dysfonctionnement de l’appareil pilo-sébacé et (iii) d’une réponse immunitaire inappropriée.
Buts et applications de nos travaux : Notre recherche se concentre sur les lymphocytes infiltrant les tissus (TILs), y compris les cellules T mémoires résidant dans les tissus (TRMs), qui sont des acteurs majeurs dans le développement des maladies sur lesquelles nous travaillons. Les TILs et les TRMs produisent de multiples médiateurs inflammatoires (cytokines de type 1, 2 ou 17 et protéines cytotoxiques) qui initient et façonnent la présentation clinique de ces maladies. Nos projets visent à décrypter les mécanismes par lesquels les antigènes de l’environnement et notamment les allergènes chimiques (haptènes, médicaments) ou protéiques, ainsi que les irritants, les polluants ou encore le microbiome cutané, stimulent ou au contraire contournent la tolérance immunitaire pour induire la réponse inflammatoire et/ou allergique. A cet égard, nous capitalisons sur l’utilisation d’une large boite à outils, et utilisons à la fois des modèles de peau in vitro en 2D ou 3D, ainsi que des modèles murins et des échantillons de patients. Nos travaux ont pour applications le développement de nouvelles approches diagnostiques et/ou thérapeutiques de nos maladies d’intérêt.
THEMES DE RECHERCHE
Inflammation cutanée, eczémas, allergie médicaments, Hidradénite suppurée, lymphocytes T, tolérance
La stratégie de recherche que nous développons : Notre laboratoire a une longue expertise dans l’utilisation et le développement des modèles précliniques de maladies inflammatoires et allergiques cutannées, ainsi que dans la conduite d'études cliniques et translationnelles chez le patient. A cet égard, nous collaborons étroitement avec 4 équipes cliniques localisées dans les hôpitaux Lyon-Sud et Edouard Herriot, avec lesquelles nous formons le Département d’Allergologie, d’Immunologie Clinique et de Dermatologie :
a) le Service d’Allergologie et d’Immunologie Clinique, Hôpital Lyon-Sud, dirigé par Frédéric Bérard et Audrey Nosbaum, un centre expert dédié à la prise en charge des maladies inflammatoires et allergiques de la peau ainsi qu’à la formation en allergologie. 2000 patients hospitalisés / an ; 5000 consultations / an. Plusieurs cohortes de patients atteints d’eczémas ou d’allergie aux médicaments.
b) Le Service de Dermatologie, Hôpital Edouard Herriot, dirigé par Denis Jullien, un centre expert dédié à la prise en charge des maladies dermatologiques. 1000 patients hospitalisés / an ; 14000 consultations / an. Plusieurs cohortes de patients atteints d'hidradénite suppurée ou autres dermatoses neutrophiliques.
c) L’Unité de Recherche Clinique « Lyrec », Hôpital Lyon-Sud, Reponsable : Sophie Gilibert. 400 patients ou volontaires inclus / an. Plus de 30 études cliniques conduites ces dernières années.
d) La Biobanque « Allergobiotec » ( Hospices Civils de Lyon - Inserm), 6400 échantillons stockés, qui a été remplacée depuis 2023 par la biobanque « ImmunoPeau », Centre de Ressources Biologiques, Hôpital Lyon-Sud.
e) Le Centre de Référence pour les Allergies Médicamenteuses Sévères Toxibul, responsables Denis Jullien, Benoît Ben-Saïd, Marie Tauber. Hôpital Edouard Herriot. 500 patients atteints de maladies graves mettant en jeu le pronostic vital (par exemple, nécrolyse épidermique toxique et syndrome DRESS) /an.
Les objectifs scientifiques du "Département d'Allergologie, d'Immunologie Clinique et Dermatologie" sont : (i) d'améliorer la prise en charge des patients, (ii) de développer la recherche fondamentale et clinique et (iii) de favoriser l'enseignement en allergologie et immunologie, notamment en matière d'allergie médicamenteuse, d'immunodermatologie et d'immunothérapie et iv) de promouvoir l'information/les interactions avec les associations de patients et le public. De plus amples informations sur toutes nos activités cliniques, scientifiques et sociétales sont disponibles sur https://allergolyon.fr/.
RESULTATS RECENTS
Pathophysiologie de l'allergie cutanée
L’ensemble de nos travaux réalisés à ce jour ont permis de mieux connaître la physiopathologie des maladies allergiques cutanées (Figure 4).
Ainsi, nos résultats historiques ont montré notamment que les cellules T CD8+ cytotoxiques spécifiques (CTLs) sont les principaux effecteurs des allergies cutanées et sont clés dans l'initiation des eczémas (Scheinman et al. Nat Rev Dis Primers, 2021).
Au cours des cinq dernières années, nous avons (i) confirmé le rôle clé des CTLs dans l'allergie cutanée, (ii) caractérisé la contribution des TRMs cutanés dans la chronicité des eczémas, (iii) analysé la contribution de l'épithélium (acide cis-urocanique dérivé des UV), ainsi que des sous-populations de cellules dendritiques cutanées, dans la survenue et à la régulation de l'allergie cutanée.
Les CTLs CD8+ sont des cellules effectrices majeures de l'allergie cutanée induite par les médicaments. Nos résultats récents ont confirmé ces observations et les ont étendues aux réactions cutanées graves aux médicaments (Cadot et al. Allergy 2024 ; Vocanson et al. J Allergy Clin Immunol 2020). Nous avons démontré que la quantité (clones de cellules T très étendus) et la qualité (hautement cytotoxiques) des cellules T CD8+ spécifiques de médicament qui sont activés chez les patients atteints de nécrolyse épidermique toxique (NET) (étude clinique, 32 patients) conditionnent la sévérité de cette maladie (Villani et al. Sci Adv 2021). Il est important de noter que cette étude nous a permis d'identifier certains biomarqueurs sur les cellules pathogènes, qui sont susceptibles d'être utilisés comme de futures cibles pour traiter la NET (Brevet Inserm Transfert PCT/EP2021/083093). Nous mettons actuellement en place une étude clinique de phase I/II avec un anticorps thérapeutique commercialisé ciblant un biomarqueur identifié sur les cellules T CD8+ cytotoxiques des patients NET (PHRCi, Hospices civils de Lyon). Avec cette nouvelle approche thérapeutique, nous espérons bloquer/limiter le développement de la maladie et les séquelles futures chez les patients atteints de NET.
Les TRMs cutanés qui persistent pendant des mois à l'intérieur de la peau sont responsables de la gravité et de la chronicité des maladies allergiques cutanées. Nous avons montré, à la fois dans des modèles précliniques et chez des patients atteints d'eczéma (eczéma de contact, dermatite atopique), que les CTLs spécifiques de l'allergène, mais aussi d'autres TILs produisant des cytokines de type-17 ou de type-2, s'accumulent en tant que cellules T mémoires résidant dans les tissus sur les sites de peau précédemment affectée. Ils sont responsables des poussées et des exacerbations de la maladie lors de toute nouvelle exposition à l'allergène (Gamradt et al. J Allergy Clin Immunol, 2019 ; Lefevre et al. Curr Opin Allergy Clin immunol 2021 ; Nosbaum et al. Eur J Dermatol 2021 et Patra et al. Front Med 2022). De manière intéressante, les TRMs spécifiques du microbiote (Staphylococcus aureus) qui se sont accumulés dans la peau de DA, ne sont pas seulement pathogènes mais aussi protecteurs, en limitant la colonisation bactérienne (Braun et al. J Allergy Clin Immunol 2024). Enfin, nous avons récemment démontré que les thérapies standards telles que les corticostéroïdes topiques, utilisées depuis des années pour traiter avec succès l'inflammation allergique, sont inefficaces pour empêcher la formation, le maintien et l'expansion des TRMs spécifiques d'allergènes (Ono et al. Allergy 2021). Ces travaux fondamentaux, qui ont alimenté d'importantes collaborations pour l'équipe, sont à la base de notre programme de recherche actuel, qui visent à mieux comprendre les mécanismes responsables de la génération et de la survie à long terme des TRMs, ainsi qu’à développer de nouvelles stratégies ciblant les TRMs.
Les cellules T régulatrices CD8+, une couche supplémentaire de régulation induite par les UV pour contrôler l'allergie cutanée induite par les CTLs. Nous avons activement travaillé dans le passé sur les différents mécanismes de régulation/tolérance qui contrôlent l'activation des CTLs ou favorisent la résolution de l'inflammation cutanée (Vocanson et al. J Allergy Clin Immunol 2011). Nous avons récemment identifié une couche supplémentaire de régulation au-delà des cellules T régulatrices CD4+FOXP3+ conventionnelles, exercée par les cellules T régulatrices CD8+ qui sont activées par les cellules dendritiques lors d’un traitement par photochimiothérapie extracorporelle (psoralène + irradiation UVA). Cette thérapie est couramment utilisée par nos cliniciens pour traiter les patients atteints de lymphome cutané à cellules T ou pour gérer les rejets d'allogreffes (Hequet et al. Eur J Immunol 2020).
L'immunité épithéliale joue un rôle clé dans le déclenchement ou la régulation de la réaction allergique. La production de cytokines ou de médiateurs inflammatoires de première ligne par les cellules épidermiques est considérée comme l’événement déclencheur des réponses allergiques. Nous nous sommes récemment concentrés sur les mécanismes de détoxification dans la peau et avons montré qu’un déficit en protéine Nrf2 dans les cellules de Langerhans est suffisant pour initier une réponse allergique vis-à-vis des allergènes chimiques peu sensibilisants (collaboration S.Kerdine-Romer, Paris Saclay). Nous avons également étudié les interactions existantes entre l'acide cis-urocanique (cis-UCA), un photoproduit majeur des UVB connu pour ses puissantes propriétés immunomodulatrices, et les bactéries de la peau. En modulant les concentrations de cis-UCA à la surface de la peau, les bactéries qui expriment une enzyme appelée urocanase, diminuent les propriétés anti-inflammatoires et tolérogènes du cis-UCA. Il est intéressant de noter que l’application topique d'un inhibiteur de l'urocanase prévient le métabolisme du cis-UCA par les bactéries urocanase-positives et rétablit le pouvoir immunomodulateur de ce composé. Ce type d'inhibiteur pourrait être utilisé dans des crèmes développées par des sociétés dermo-cosmétiques ou cosmétiques pour renforcer les effets bénéfiques de la lumière solaire ; ou lors de protocoles de photothérapie UV pour le traitement de dermatoses inflammatoires (Patra V et al. J Invest Dermatol in press ; Patra V et al. Sci Rep, 2023 ; Patent Inserm Transfert EP24306213.0).
Recherche translationnelle sur les maladies inflammatoires et allergiques de la peau.
Capitalisant sur nos connaissances de la physiopathologie de l'inflammation cutanée, nous développons depuis plusieurs années divers outils pour améliorer le pronostic, le diagnostic, le traitement et la prévention de nos pathologies d’intérêt.
Développement de nouveaux tests de diagnostic pour l'allergie cutanée. Nous avons récemment caractérisé les signatures moléculaires de l'inflammation cutanée induite par les produits chimiques et mené 3 études cliniques translationnelles sur plus de 100 patients souffrant d’eczéma de contact, dans la phase active de leur maladie ou lors de bilans allergologiques. Nos résultats ont montré que des voies uniques caractérisent les dermatites de contact allergique et irritante (Galbiati et al. Arch Toxicol, 2023; Lefevre et al. Allergy 2021) et que le profilage moléculaire des lésions cutanées aide à renforcer le diagnostic clinique (Lefevre et al. J Am Acad Dermatol, 2024 ; Lefevre et al. Contact Dermatitis, 2022). Nous cherchons actuellement à développer un nouveau test de diagnostic rapide qui pourrait être utilisé en clinique.
Développement de nouvelles approches d'immunothérapie spécifique à l'allergène pour restaurer la tolérance cutanée chez les patients allergiques. Le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques est l'un de nos principaux objectifs. Nous avons donc exploré les mécanismes associés à l'efficacité de l'immunothérapie spécifique de l'allergène. En capitalisant sur un modèle préclinique d'immunothérapie épicutanée (EPIT), nous avons montré que l'acquisition de spécialisation fonctionnelle par les cellules dendritiques cutanées au cours de l'EPIT est la pierre angulaire du processus de désensibilisation (Laoubi et al. J Allergy Clin Immunol, 2022).
Évaluation de nouvelles approches thérapeutiques pour traiter les maladies inflammatoires de la peau. Par ailleurs, au cours des derniers mois, nous avons exploré la physiopathologie de maladies inflammatoires de la peau dont l'étiologie n'est pas claire, telles que la cellulite à éosinophiles (CE, également appelée syndrome de Wells, une dermatose éosinophile rare) et l'eczéma chronique des mains (une affection courante et très hétérogène affectant les mains, d'origine multifactorielle et induite par des facteurs endogènes/héréditaires ou par des expositions exogènes/environnementales) et nous avons évalué l'efficacité de nouvelles thérapeutiques dans ces maladies. Nous avons montré que les lésions des CE sont caractérisées par une inflammation de type 2 marquée et une activation préférentielle des voies JAK1/JAK2-STAT-5, soutenant le potentiel des approches thérapeutiques ciblant JAK1/JAK2 chez les patients atteints de CE (Morot et al. JAMA Dermatol, 2023). En outre, nous avons découvert que les lésions cutanées des patients atteints d'EC partagent des signatures transcriptomiques complexes avec celles des patients atteints de dermatite atopique et de psoriasis, et nous avons démontré une efficacité robuste du dupilumab (un anticorps thérapeutique ciblant le récepteur IL-4Ra), indépendamment des antécédents de dermatite atopique ou des déclencheurs environnementaux (Géry et al. en soumission ; un essai clinique de phase 2b randomisé, multicentrique, en double aveugle, contrôlé par placebo sur 94 patients atteints de CHE).
Covid-19
Bien que le COVID-19 ne soit/était pas notre principal domaine d'intérêt, lors de la pandémie, nous avons étudié l'impact de l'échange de plasma thérapeutique (EPT) sur la récupération des cellules immunitaires et le développement de réponses antivirales appropriées chez les patients souffrant d’une forme sévère de COVID-19 (Guironnet-Paquet A et al. Front Immunol, 2025).
